Un pouvoir qui sème le vent doit être prêt à récolter la tempête

De qui la manifestation prévue pour le jeudi 25 septembre va-t-elle être l’évènement ? De citoyens mobilisés plus ou moins spontanément à travers les réseaux sociaux, mais sans un leadership politique clairement identifié comme lors de la plupart des précédentes crises à Madagascar (Andriamanjato, Voaibe et Zafy en 1991, Ravalomanana en 2002, Rajoelina en 2009, les 73 députés en 2018) ? Ou bien d’une opposition qui y voit une opportunité d’obtenir enfin le soutien d’une masse critique, car elle n’est jamais arrivée à déstabiliser les manœuvres anti-démocratiques d’Andry Rajoelina depuis 2009 ? Quoiqu’il en soit, le mode de fonctionnement de la Génération Z semble faire ses preuves, comme au Népal ou lors des Printemps arabes. Symbole : la multiplication virale du symbole malgachisé de la lutte au Népal (photo).
Nul ne conteste qu’il est nécessaire de remonter les bretelles à un régime dont l’arrogance et le sentiment d’impunité sont allés crescendo ces dernières années. La manifestation de jeudi prochain est donc tout à fait légitime, même si l’habituel manège de juridisme du préfet de police d’Antananarivo n’en fera pas une manifestation légale. Mais sincèrement, quelle est la crédibilité d’un régime qui puise ses racines dans un coup d’État et dans des violations quotidiennes de l’État de Droit, à appeler au respect de la Loi ?
Cela étant dit, il est inquiétant et regrettable que la seule option qui apparaisse possible aux citoyens est l’appel à la violence, inspiré par ce qui s’est passé au Népal il y a quelques semaines. Certaines pages Facebook partagent les adresses des domiciles de membres du régime à cibler, et des publications expliquent comment fabriquer des cocktails Molotov ou limiter les effets du gaz lacrymogène. Face à l’action des dérives autocratiques, il ne faut pas s’étonner des réactions en conséquence.
Une journée multi-tests
La journée du jeudi 25 septembre va doc être un test pour de nombreuses entités. Un test pour le pouvoir qui va une fois encore devoir vérifier si sa méthode de répression brutale des manifestations est toujours efficace. Un test pour les forces armées pour vérifier si la discipline est encore suffisamment solide pour que les ordres soient respectés. Un test pour l’opposition qui va voir si elle est enfin capable de mobiliser une masse critique et suffisamment courageuse pour casser les barrages. Un test pour les citoyens qui vont savoir s’ils auront le courage de mettre à exécution les envolées lyriques sur Facebook. Un test pour ceux qui voudraient évaluer le potentiel à Madagascar de la cyber-démocratie, l’effet des réseaux sociaux numériques sur la démocratie.
Le sujet des délestages est fédérateur, bien au-delà du milieu des opposants. L’audience potentielle est donc réelle : il suffit de voir les manifestations quasi-quotidiennes dans les quartiers. Mais comme on le dit si bien à Madagascar, ny biby tsy manan-doha tsy mandeha. Le mouvement devra donc se trouver des leaders charismatiques pour l’orienter et le mener, faute de quoi il va retomber comme un soufflé. C’est d’ailleurs pour cela que les autorités ont procédé à l’arrestation de Bàbà Rakotoarisoa et Clémence Raharinirina, en espérant éteindre la révolte dans l’oeuf et décapiter le movement. Malheureusement pour elles, au lieu d’éteindre le feu, ces arrestations l’ont attisé.
Les évènements au Népal ont généré à Madagascar un certain enthousiasme sur Facebook, qui s’est manifesté par des appels à une “népalisation” pour se débarrasser des dirigeants. On sent un vent d’inquiétude au sein du pouvoir qui tente de mettre en place des contre-feux. Les publications des hiérarques du pouvoir et des comptes fako se multiplient sur Facebook autour des mêmes éléments de langages : le pouvoir travaille déjà d’arrache-pied pour apporter des solutions aux délestages, et que le pays ne peut se payer le luxe d’une grave crise politique.
Aucune crédibilité à cause de 2009
Cette rhétorique contre la violence politique aurait pu être acceptable s’il n’y avait pas eu le souvenir des actes violents et inacceptables de 2009 qui pèseront ad vitam aeternam sur l’image de Rajoelina et ses partisans. Par conséquent, pourquoi les protestations, prétendument fondées en 2009, ne le seraient pas en 2025 ? Les dirigeants actuels doivent également avoir le courage de se demander quelle est leur part de responsabilité dans la montée de la tension politique actuelle et de la fracture devenue irréductible entre citoyens. C’est bien beau de se plaindre du « fankahalana » (haine) contre les dirigeants qui anime une partie importante de la population, mais encore faudrait-il que lesdits dirigeants comprennent que ce sentiment extrême a été généré par leur comportement arrogant, corrompu et qui viole de façon répétée l’espace démocratique. Ce furent exactement les sources de la révolte des jeunes népalais.
La Jirama semble même avoir fait des miracles depuis hier, avec très peu de délestages d’eau et d’électricité dans la Capitale. Toutefois, cela a énervé plus qu’apaisé : si les solutions étaient possibles, pourquoi ne pas l’avoir fait depuis ? L’ opinion publique s’interroge également sur la floraison de scandales croustillants qui apparaissent à un moment où le pouvoir est mis en difficulté dans l’opinion publique : sont-ce des hasards ou des manipulations pour distraire l’attention de la population ?
En réalité, le régime Rajoelina est en train de payer trois phénomènes : ses mensonges récurrents au sujet des pseudo-solutions de la Jirama ont fini par échauder les citoyens ; son choix de fermer le jeu politique à coups d’intimidation, de répression et de corruption ; une absence de performance que le werawera n’arrive plus à cacher ; et sa méconnaissance du principe édicté par Jean-Jacques Rousseau : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Mais est-il bien raisonnable de se demander si Rajoelina a lu un quelconque philosophe, et encore moins Rousseau ?